Sans nul doute, c’est une loi qui fera date. Avec la nouvelle loi de programmation militaire 2024-2030, présentée lors des voeux d’Emmanuel Macron aux armées, le vendredi 20 janvier 2023 à Mont-de-Marsan, la France signe son plus gros budget d’investissement militaire depuis les années 1960, budget qui avait à l’époque permis, sous l’impulsion de Charles de Gaulle, de doter la France de la bombe nucléaire.
Loi de programmation militaire 2024-2030 : « Nous devons avoir une guerre d’avance »
Le montant est historique, 413 milliards d’euros de budget pour les armées pour les 7 prochaines années (de 2024 à 2030). Mais, autant que le montant, c’est le contexte dans lequel il s’inscrit. D’ailleurs, lors des voeux aux armées du chef de l’Etat, la guerre en Ukraine était bel et bien en toile de fond avec autour du président, un avion de chasse de type Rafale, et un système de défense anti-aérienne Mamba. Ces deux équipements militaires made in France sont actuellement déployés sur le flanc Est de l’Europe, en Roumanie et dans les pays Baltes.
Ce budget historique a été qualifié par le président de la République de choix historique, doté d’un caractère « irréversible ».
Budget des armées : entre investissement dans l’avenir et augmentation des stocks
Il a rappelé les deux priorités liées à cette loi de programmation militaire 2024-2030. D’un côté, il s’agit d’investir dans de nouvelles technologies plus précises (matériel de détection radar, logiciel anti-brouillage, missiles hypersoniques, drones maritimes…). Et en même temps, il s’agissait de continuer à produire les armes conventionnelles (artilleries, fusils), et les munitions. Car les stocks de munitions français, et plus largement les stocks de munitions occidentaux sont totalement inadaptés à la guerre de haute intensité, comme celle qui a actuellement lieu en Ukraine. Emmanuel Macron justifie ces deux objectifs, a priori ambivalents, à mener conjointement : « L’un des pièges serait de s’épuiser en ne cherchant que le raffinement technologique, l’autre serait de ne pas investir ».
Rien qu’en 2023, le budget des armées comporte 2 milliards d’euros de budget destinés au munitions, soit 500 millions de plus qu’en 2022, et 60% de plus qu’en 2019. Il faut dire que l’absence de conflit de haute intensité depuis la seconde guerre mondiale, et la réduction de ce risque avec la chute du bloc de l’Est en 1991 ont incité les pays Occidentaux à revoir à la baisse leurs dépenses militaires.
Comme l’explique Michel Goya dans son livre Le temps des Guépards, les années 1990 et 2000 d’un point de vue militaire se caractérisent côté français par une prépondérance des opérations de maintien de la paix, ce qui réduit la quantité de munitions nécessaires.
Investissements massifs sur le renseignement et la dissuasion nucléaire
Même si une loi de programmation militaire comporte bon nombre de budgets et détails classés secret-défense, le discours d’Emmanuel Macron met en avant des investissements massifs sur le renseignement. A titre d’exemple, les budgets de la Direction du Renseignement Militaire (DRM) et de la Direction du Renseignement et de la Sécurité de la Défense (DRSD, service de contre-espionnage militaire) seront doublés. Et le budget global du renseignement français augmentera de 60%.
Quant à la dissuasion nucléaire, le cap fixé par la loi de programmation militaire 2024-2030 est de poursuivre la modernisation des arsenaux militaires français. Cela passe par une amélioration des têtes nucléaires, mais aussi des missiles qui les portent, et les moyens de transport de ces armes (principalement les avions de chasse Rafale, et les sous-marins lanceurs d’engins).
L’objectif à la fois symbolique et ambitieux du chef de l’Etat est d’avoir 1 sous-marin nucléaire lanceur d’engin en permanence en activité dans les mers du globe.
Vers une économie de guerre ?
Pour que les dépenses budgétées dans la loi de programmation militaire soient effectivement engagées, il faut que l’industrie de la défense suive. Aujourd’hui, les lignes de production manquent tant les budgets précédents étaient inférieurs aux nouveaux. Et l’ouverture de nouvelles lignes de production (que ce soient pour les Rafale ou les obus de mortier) est un sujet de négociation constant entre les industriels et le gouvernement depuis plusieurs mois.
Dans un discours prononcé depuis l’Arsenal de Toulon le 9 novembre 2022, Emmanuel Macron avait déjà appelé au passage vers une économie de guerre : « nous devons faire pivoter notre économie, nous adapter au nouveau contexte, pousser avec notre industrie de défense vers de nouveaux efforts et nous mettre en posture d’économie de guerre ». Les mots avaient été lâchés par le chef de l’Etat, dans une relative indifférence de l’opinion publique.
Aujourd’hui, les entreprises à vocation militaire fonctionnent encore à flux tendus, et les délais s’allongent pour répondre aux commandes françaises (celles déjà budgétées dans la précédente loi de programmation militaire), mais aussi étrangères. En effet, entre la production militaire destinée à la guerre en Ukraine (comme les canons Caesar), la remilitarisation de la France et celles des autres armées, le carnet de commandes militaires bondit. Et c’est une pénurie de main d’oeuvre qui s’amorce. Alors bientôt, une loi pour stimuler le recrutement dans les industries de la défense ?