L’annonce par le président Emmanuel Macron de l’envoi de 6 canons Caesar (Camion équipé d’un système d’artillerie) supplémentaire à l’armée ukrainienne acte le renforcement du soutien militaire français à Kiev alors que l’artillerie tient une place centrale dans la bataille du Donbass. De quoi poser la question de la capacité de l’industrie de défense française à augmenter sa cadence de production alors que l’armée française fait face à son impréparation à un conflit de haute intensité.
Le jeudi 16 juin dernier, à l’occasion de sa visite à Kiev pour rencontrer le président ukrainien Volodymyr Zelensky accompagné des Premiers ministres allemands, italiens et roumains, le président de la République française, Emmanuel Macron annonçait : « Au-delà des 12 Caesar déjà livrés j’ai pris la décision que dans les prochaines semaines six Caesar additionnels [seront livrés] ». En portant à 18 le nombre de ces canons Caesar fournis à l’Ukraine et en les prélevant directement sur les réserves de l’armée française, c’est près du quart de leur stock de 76 canons Caesar que les forces armées se voient retirer.
Les canons Caesar dans la guerre en Ukraine
Ces dernières semaines, l’armée ukrainienne a multiplié les opérations de communication afin de mettre en évidence l’efficacité opérative des canons Caesar livrés par la France afin de l’aider dans la bataille du Donbass. Selon l’armée ukrainienne, ces pièces d’artillerie de 155mm et d’une portée de 40 à 46 kilomètres pouvant tirer 6 coups par minute auraient permis la destruction d’une centaine de cibles russes : véhicules blindés, chars, pièces d’artillerie ou encore postes de commandement. Les canons français permettent la conduite d’opération de moins de 5 minutes les mettant hors de portée de toute riposte. Ils se déplacent sur le front de nuit et à travers champ rendant leur détection et leur destruction par l’artillerie russe bien plus difficile que s’ils empruntaient des routes. Les canons Caesar sont donc un atout non négligeable pour l’armée ukrainienne dans le Donbass. Celle-ci bénéficie en effet de la précision de leurs tirs (de l’ordre d’un demi terrain de football), de leur grande maniabilité et de leur simplicité d’emploi (les artilleurs ukrainiens sont formés en seulement une à deux semaines au camp de Canjuers dans le Var).
De l’importance de l’artillerie dans la bataille du Donbass
Les combats qui se déroulent depuis 2014 dans l’est de l’Ukraine mettent en évidence la place centrale que tient l’artillerie dans la conduite des opérations. En effet, celle-ci permet d’infliger de lourdes pertes à l’adversaire et de briser ses lignes. Les combats urbains du Donbass montrent que son utilisation est indispensable afin de produire des destructions massives et de s’emparer de villes stratégiques avec succès. Or, comme l’explique Ryan Noordally, sous-officier de l’armée britannique, dans le Collimateur, le podcast de l’Institut de Recherche Stratégique de l’Ecole Militaire (IRSEM), « l’artillerie est une arme savante ». Elle ne peut se résumer à une simple compétition de puissance de feu. L’enjeu de l’innovation technologique dans l’artillerie se concentre autour des questions de précision, de mobilité et de rapidité de la prise de décision. Ainsi que le retour d’expérience du conflit ukrainien permet de l’affirmer, le canon Caesar est un joyau de la base industrielle et technologique de défense (BITD) française. C’est pour continuer de répondre à ce défi qu’en février dernier le Premier ministre d’alors, Jean Castex, signait avec Nexter un contrat de 600 millions d’euros pour le développement de canons Caesar de « nouvelle génération » (ou appelé MK II), une version blindée et modernisée du canon actuel dotée d’une motorisation plus puissante afin de gagner encore en mobilité et d’une protection cabine plus importante.
Ce que montre aussi la guerre en Ukraine, c’est que conflit de haute intensité rime avec guerre industrielle. De la même façon qu’aucun succès opérationnel ne peut être obtenu sans l’établissement de chaînes logistiques, la guerre de haute intensité se gagne à chacune de ses échelles grâce à la mobilisation d’un complexe militaro-industriel productif et innovant, adapté à l’éventualité du surgissement d’un conflit mettant en tension l’ensemble du spectre capacitaire. C’est ce qu’explique le lieutenant-colonel de l’armée américaine à la retraite Alex Vershinin dans un article intitulé « Le retour de la guerre industrielle ». Selon lui, « la guerre en Ukraine démontre que la guerre entre adversaires équivalents ou presque équivalents exige l’existence d’une capacité de production à grande échelle et techniquement avancée ». Il révèle ainsi que la production américaine annuelle de munitions d’artillerie correspond au mieux à 10 ou 14 jours de combats en Ukraine, où le chef adjoint du renseignement militaire américain estime que les forces ukrainiennes tirent entre 5000 et 6000 obus par jour. Il conclut alors : « Si la compétition entre les autocraties et les démocraties est réellement entrée dans une phase militaire, alors l’arsenal de la démocratie doit d’abord radicalement améliorer son approche de la production de matériel militaire en temps de guerre. ».
Produire des Caesar : un enjeu de souveraineté dans le cadre de la redéfinition capacitaire des forces armées
Cet appel semble avoir été entendu en France. A l’occasion du salon Eurosatory, le président de la République a annoncé sa volonté de réévaluer la dernière loi de programmation militaire (LPM) à la lumière des premiers enseignements de la guerre en Ukraine, afin de la rendre plus ambitieuse en réhaussant ses objectifs. Une source du ministère des Armées précise en outre que le ministère a « inscrit l’artillerie dans les sujets qui constitueront une priorité d’examen pour la prochaine LPM ».
Le contrat passé entre l’Etat français et Nexter au mois de février prévoit la production de 33 Caesar « nouvelle génération » et la rénovation des 76 canons Caesar existants. L’objectif affiché est d’atteindre 109 canons Caesar « à l’horizon 2031 ». Seulement, la révision annoncée de la LPM pourrait changer la donne : le nombre de 33 Caesar « nouvelle génération » pourrait augmenter tout comme l’objectif cible de 109 canons Caesar pour 2031. Aussi, le canon Caesar s’exporte très bien. La Belgique a commandé en mai 2022 9 Caesar, pour un montant de 62 millions d’euros, devenant le huitième pays à s’offrir la pièce d’artillerie française. A l’occasion du salon Eurosatory, la Lituanie a aussi signé une lettre d’intention d’achat de 18 Caesar. Il faudra honorer ces contrats en plus des livraisons faites aux forces ukrainiennes dont il n’est pas garanti qu’elles reviendront en France.
Alors, en marge du salon Eurosatory, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a demandé au patron de Nexter, Nicolas Chamussy, de revoir son organisation afin de pouvoir produire plus. Or, cette reconfiguration pose question. D’un coût unitaire de 5 millions d’euros, produire un canon Caesar prend 18 mois. Le système de 18 tonnes rassemble plus de 500 pièces. Deux problématiques se posent alors : d’abord celle de la capacité des chaînes d’approvisionnement notamment en composantes électroniques et matières premières. Ensuite, la nécessité de disposer de personnels qualifiés (mécano-soudeurs, spécialistes de la pyrotechnie) dont la formation prend du temps. Nexter ne sera pas non plus le seul acteur concerné par une accélération de la cadence : le châssis 6×6 est fourni par le français Arquus (ancien Renault Trucks Defense) ou le tchèque Tatra alors que le canon et la centrale inertielle viennent de chez Safran.
Alors quelle perspective pour Nexter et les armées françaises ? Actuellement, l’usine de Bourges, qui produit le Caesar, sort environ 10 de ces canons par an. Le journaliste spécialiste des questions militaires et stratégiques Jean-Dominique Merchet estime que la capacité de production pourrait dépasser les 40 canons Caesar par an et atteindre un Caesar produit par semaine ouvrable. Encore faut-il savoir à quelle date cette remontée en puissance sera effective.