Les Forges de Tarbes… Ce nom ne vous dit probablement rien, et pourtant il s’agit d’un fleuron de l’industrie française de la défense. Cette PME qui emploie tout juste une trentaine de personnes (28 salariés en CDI et 10 intérimaires) a failli être liquidée, et son savoir-faire avec. Elle a été reprise par Europlasma, troisième repreneur en cinq ans. Ce rachat s’est fait davantage pour des questions géographiques que stratégiques. Explications.
Europlasma et les Forges de Tarbes : un mariage géographique
Europlasma est une société côtée à la Bourse de Paris. Elle est spécialisée dans la valorisation des déchets, via une technologie brevetée : la torche à plasma. Cette activité historique est particulièrement efficace pour valoriser au mieux les déchets dangereux, comme l’amiante. Mais, même si cette activité est prometteuse dans le contexte de décarbonation de l’économie et de la valorisation des déchets, elle n’était pas rentable. Au point qu’Europlasma a lui-même frôlé la liquidation judiciaire. C’est un fonds d’investissement luxembourgeois qui a sauve l’entreprise, Zigi Capital.
Avec ce nouvel actionnaire de référence, Europlasma ne souhaite plus uniquement se concentrer sur la torche à plasma, mais souhaite racheter de petites entités industrielles. Autrement dit, le voisin Les Forges de Tarbes correspond parfaitement au nouveau positionnement de l’entreprise. Le siège social d’Europlasma est situé à Morcenx-la-Nouvelle dans les Landes, quand les Forges de Tarbes sont localisées, comme le nom l’indique, dans la capitale des Hautes-Pyrénées.
Les Forges de Tarbes : un savoir-faire unique, patrimoine industriel français
Les Forges de Tarbes, c’est d’abord un savoir-faire unique ou presque. Il faut dire que l’entreprise est le dernier fabricant occidental (hors Etats-Unis) de corps creux de 155 mm. Autrement dit, c’est le dernier producteur européen de corps d’obus. La survie de ce savoir-faire industriel est donc promordial à l’heure du retour de la guerre sur le continent européen. Les obus de 155 mm sont d’ailleurs les plus répandus parmi les différents obus de l’OTAN. Ce sont notamment ceux qui équipent le canon Caesar.
Dans un premier temps, les corps creux sont fabriqués par Les Forges de Tarbes, puis Nexter les arme de la poudre explosive, et voici la munition qui équipe la plupart des canons utilisés par les armées de l’OTAN.
Un site industriel protégé
Historiquement, ce site industriel est situé à Tarbes pour une raison précise. La production de corps d’obus a été localisée par GIAT Industries (son ancien propriétaire), ancienne société sous le contrôle direct du Ministère de la Défense, dans cette ville car c’est le point géographique le plus éloigné de l’Allemagne. C’est donc un lieu sécurisé à l’abri des bombardements, fruit du traumatisme des deux guerres mondiales.
Une production déclinante qui mène Les Forges de Tarbes au dépôt de bilan
Mais l’éloignement de la guerre froide fait passer l’enjeu d’une industrie de la défense souveraine au second plan. Les restructurations se succèdent alors sur le site de Tarbes, jusqu’à la fermeture en 2006. A ce moment-là, c’est Vallourec qui reprend le site industriel pour y fabriquer du matériel destiné au forage pétrolier. La production d’obus ne recommence qu’en 2011.
A partir de 2018, les difficultés s’accumulent pour les Forges de Tarbes. Un nouveau repreneur se présente : Altifort, mais c’est un nouvel échec. Finalement, seul Europlasma est sur les rangs en 2021.
Le changement de contexte géopolitique dope les commandes de corps creux
La guerre en Ukraine a rappelé aux membres de l’Union Européenne qu’un conflit en Europe était possible. Il a d’abord fallu soutenir militairement le voisin ukrainien, et de nombreux obus de 155 mm ont été envoyés sur le front. Cet approvisionnement en munitions a mis sous tension les stocks des arsenaux militaires des membres de l’OTAN, déjà très bas depuis la fin de la guerre froide.
Plus de 90.000 ogives déjà commandées
Dans ce contexte, le savoir-faire des Forges de Tarbes est absolument vital. Nexter Munitions, principal client de la PME pyrénéenne. Une première commande a été passée en octobre 2022 pour 30.000 ogives, ce qui représente un chiffre d’affaires de 8 millions d’euros.
Le 13 juin 2022, Europlasma a annoncé dans un communiqué une nouvelle commande de 60.000 corps creux. Cela représente pas moins de 15 millions d’euros de chiffre d’affaires pour les Forges de Tarbes. Pour Jérôme Garnache-Creuillot, Président directeur général d’Europlasma : « cette commande historique, la plus importante depuis la cession des Forges de Tarbes par GIAT Industries, valide le savoir-faire unique et l’implication sans faille des femmes et des hommes qui y travaillent. Elle est également le fruit d’une collaboration technique et stratégique étroite avec les équipes de son client historique lequel a permis de sauvegarder un outil industriel constitutif d’une filière garante de la souveraineté française ».
Autorisation à l’export et augmentation de la capacité de production
Mais, le communiqué ne mentionne aucun client. On peut légitimement se demander à qui cette commande est destinée puisque Europlasma a obtenu une autorisation à l’export pour ses corps creux. Peut-être un autre pays de l’OTAN ? A ce stade, nous n’avons pas réussi à obtenir d’informations supplémentaires.
Ces nouvelles commandes coïncident avec une montée en puissance du site historique. La capacité de production, estimée à 40.000 unités pour l’année 2023 doit passer à 120.000 pièces en 2024 et 160.000 pièces en 2025.
Une volatilité boursière particulièrement préoccupante
Mais, même si une éclaircie semble planer sur le site Tarbais. A l’heure actuelle, l’actionnariat d’Europlasma est entièrement flottant. Cela signifie que 100% des actions de la société sont librement cessibles sur le marché boursier. Or, compte tenu des difficultés financières passées d’Europlasma comme des Forges de Tarbes, impossible pour la société de se financer auprès de partenaires bancaires.
Europlasma est donc contraint de de se financer sur le marché, par l’émission d’obligations convertibles en actions (OCA). Or, le niveau d’endettement a tendance à inquiéter les investisseurs, détenteurs des actions d’Europlasma, car la création d’actions nouvelles a un effet dillutif sur le capital. Ce phénomène réduit donc mécaniquement la valeur des actions précédemment émises.
Aujourd’hui, la capitalisation totale d’Europlasma (comprenant donc la filiale Les Forges de Tarbes mais aussi les autres entités de la société) est de 3 millions d’euros seulement. Et la volatilité du titre est impressionnante : suite à l’annonce le 13 juin au soir de la commande de 60.000 ogives, pas moins de 30% des actions ont changé de main le lendemain, sur le marché boursier.