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Scission d’Atos : quel avenir pour les activités stratégiques du groupe ?

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Ce mardi 14 juin, Rodolphe Belmer, le directeur général du géant informatique français Atos, a annoncé en compagnie du président du conseil d’administration, Bertrand Meunier, un plan stratégique afin de sauver l’entreprise, en grande difficulté depuis 2 ans. Loin de rassurer les investisseurs, celui-ci pose la question du devenir du groupe, d’une possible scission d’Atos et d’une partie de ses activités, pourtant stratégiques, dans le domaine de la cybersécurité et du big data.

Atos tente de se sauver. En grande difficulté depuis la crise du COVID 19, le groupe français a perdu la moitié de sa valeur boursière sur l’année 2021, ponctuée par 2 avertissements sur résultats. Alors qu’elle avoisinait les 8 milliards d’euros il y a 2 ans, sa capitalisation boursière a dégringolé pour s’élever aujourd’hui à 2,5 milliards d’euros. L’objectif du plan stratégique est de redonner confiance aux investisseurs afin d’endiguer son effondrement. Son directeur général, Rodolphe Belmer, en a profité pour annoncer son départ du groupe au mois de septembre, 9 mois seulement après son arrivée à la tête de l’entreprise dirigé jusqu’en 2019 par Thierry Breton, actuel Commissaire européen au Marché intérieur.

Une scission d’Atos en deux entités totalement distinctes

Le plan présenté ce mardi prévoit la scission d’Atos en « en deux sociétés, qui auront chacune leur indépendance, leur logique stratégique, leur conseil d’administration et leur management ». La première, qui conserve le nom d’Atos, regroupe les services historiques de l’entreprise: ses activités d’infogérance, la gestion des systèmes informatiques des entreprises. Ceux-ci sont en perte de vitesse, en recul de 12 % sur l’année 2021 avec une marge opérationnelle négative de – 1,1 %,  alors qu’il représente 55 % du chiffre d’affaire d’Atos, soit 5,4 milliards d’euros.

La seconde entité, baptisée Evidian, concentre les activités de transformation digitale du groupe (intégration des systèmes informatiques via le cloud, décarbonation, intelligence artificielle), qui représente 35 % du chiffre d’affaire d’Atos, et celles de la division « Big Data et Sécurité » (BDS) qui regroupe la cybersécurité, la gestion de serveurs haute performance ainsi que le calcul intensif. Ces activités en forte croissance, 5 % sur l’année 2021 avec une marge opérationnelle de 7,8 % selon Atos, nécessitent d’importants moyens pour se développer et grandir, notamment dans la recherche et développement.

La scission d’Atos devrait être effective au second semestre 2023. Son coût est estimé à 2,3 milliards d’euros.

Des incertitudes qui minent la confiance des investisseurs

Cependant, l’annonce de la scission d’Atos a été particulièrement mal accueillie sur les marchés financiers. En effet, le titre Atos perdait 26 % de sa valeur à la bourse de Paris ce mardi autour de 9h30. En cause, selon certains analystes financiers, des incertitudes autour du plan stratégique présenté.

En effet, afin de financer sa restructuration, Atos a annoncé une cession d’actifs non stratégiques à hauteur de 700 millions dans le périmètre d’Evidian. La nouvelle entité supportera aussi l’essentiel de la dette actuelle, étant donné que son niveau de croissance la rend plus à même de pouvoir l’absorber. Mais surtout, 30 % du capital d’Evidian sera utilisé pour la restructuration de la nouvelle Atos. Seul 70 % de son capital sera ainsi redistribué aux actionnaires. Atos annonce par ailleurs un besoin de financement auprès des banques à hauteur de 1,6 milliards d’euros pour la période 2022-2023.

En outre, la nouvelle répartition des charges entre les anciens pôles de l’entreprise réorganisés prévoit que certains éléments du pôle Digital et de la division « BDS » soit intégré au sein de la nouvelle entité Atos avec les services historiques du groupe. Or, une telle opération entraîne un affaiblissement de ces deux secteurs d’activités, pourtant les plus porteurs à court, moyen et long terme. Ce nouveau schéma répond à un impératif d’attractivité de la nouvelle entité. En effet, si Atos n’a pas réussi à trouver de repreneur pour ses activités d’infogérance, le conseil d’administration n’aurait pas abdiqué dans sa volonté de se séparer de cette partie qui le handicape dès qu’il le pourra.

Ces éléments, couplés à la crise de gouvernance qui touche le groupe depuis l’arrivée en janvier 2022 de son nouveau directeur général Rodolphe Belmer, dont la vision stratégique diverge de celle du conseil d’administration, minent la confiance des investisseurs alors que les taux d’intérêt remonte et que le marché bancaire se montre pusillanime lorsqu’il s’agit prêter, d’autant plus à un groupe en difficulté. L’avenir est ainsi hautement incertain pour le géant français de l’informatique et ses deux nouvelles sociétés

Un enjeu de souveraineté majeur pour la France et l’Europe

Le devenir d’Atos et de la nouvelle société Evidian suscite aussi l’intérêt de l’Etat. En effet, la division « BDS » couvre des secteurs stratégiques faisant des activités de cybersécurité et des supercalculateurs produits par Atos de véritables joyaux qu’il s’agit de préserver. Déjà en février 2022, le secrétaire d’Etat chargé du numérique Cédric O mentionnait, à l’occasion de la présentation du nouveau supercalculateur d’Atos Bull Sequana HX 3000, le « caractère stratégique » des supercalculateurs, faisant d’Atos un « actif de la souveraineté française et européenne ».

Une façon d’indiquer qu’en cas de revente, l’Etat serait attentif à ne pas laisser partir les activités de la division « BDS » dans les mains de n’importe qui. Il en va de la souveraineté française et européenne en matière de calcul de haute performance et donc en matière de données.

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Atos est en effet le leader européen dans la construction des supercalculateurs et fait face à des rivaux chinois, japonais et américains dans une course dans laquelle les européens ont déjà pris du retard : le Bull Sequana HX 3000 n’est que le 8ème calculateur le plus puissant au monde et l’ensemble de la chaîne de fabrication n’est pas contrôlé, les puces utilisées provenant des entreprises américaines Nvidia et Intel ou du britannique ARM.

En outre, Atos travaille en partenariat avec le ministère des Armées dans le domaine de la cybersécurité. Il lui fournit le système Auxylium, un « système de communication, d’information et de commandant » utilisé par les forces armées pour ses opérations intérieures comme l’opération Sentinelle. Le géant informatique a aussi participé avec l’industriel de défense Thalès à la création en mai 2021 de la société Athea, spécialisée dans l’intelligence artificielle appliquée aux domaines de la sécurité et de la défense dans le cadre du programme ARTEMIS (ARchitecture de Traitement et d’Exploitation Massive de l’Information multi-Sources). Son objectif est de fournir au ministère des Armées un système pour le stockage et l’exploitation des données.

Ainsi, les potentiels repreneurs d’Atos et de sa division « BDS », future partie d’Evidian, évoqués ces derniers mois ont tous l’Etat français à leur capital. Désireux de développer leurs activités dans le très porteur domaine de la cybersécurité, il s’agit de Thalès, d’Airbus Cybersecurity ou plus récemment d’Orange dont la filiale Orange Cyberdéfense (OCD) s’est restructurée pour faciliter une potentielle fusion. La scission d’Atos pourrait donc être une forme de vente à la découpe. Pourquoi pas avec le leader européen des services de cybersécurité ?

On comprend alors que l’avenir d’Atos et d’Evidian ne s’écrira pas sans l’intervention du gouvernement français. Une rencontre entre Rodolphe Belmer et Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Elysée, est d’ailleurs prévue cette semaine.

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