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Canicule de 2022 : le parc énergétique français et ses limites

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Contrairement au secteur de l’agriculture, le secteur énergétique français n’avait jamais été confronté directement aux impacts d’un épisode climatique exceptionnel. C’est chose faite.

Les vagues de canicule qu’a traversé la France à la mi-juin, début juillet et début août, ont ainsi tenu d’un test « grandeur nature » pour le parc énergétique français. Et si la crise a été correctement gérée, il n’en demeure pas moins que le dérèglement climatique et les évènements climatiques extrêmes qui s’ensuivent poussent les politiques à réfléchir et repenser l’évolution de l’offre et la demande énergétique française, mais aussi européenne.

Des vagues de chaleur précoces, et sur tout le territoire métropolitain

Pour commencer, il sera question dans cet article de « canicule ». Météo France, le service chargé de la surveillance des phénomènes climatiques en France métropolitaine et DROM, suit des critères précis pour les identifier. Et bien que les seuils de températures caniculaires diffèrent d’un département à l’autre, Les niveaux de chaleur restent identiques partout en France. Ainsi, selon Météo France :

On parle en France de chaleur à partir de 25°C, de forte chaleur à partir de 30°C et de très forte chaleur à partir de 35°C

On parle de canicule lorsqu’il est question de : « Une période de chaleur intense pendant 3 jours et 3 nuits consécutifs, susceptible de constituer un risque sanitaire pour l’ensemble de la population exposée ».

Une canicule est donc un épisode de températures élevées, jour et nuit, sur une période supérieure ou égale à trois jours. Les températures minimales, en particulier la nuit, sont au-dessus de 24 °C et les températures maximales supérieures à 35 °C dans les Bouches-du-Rhône (mais encore une fois, le terme canicule a une définition différente dans chaque département).

L’historique des années exceptionnelles de Météo France nous montre également que la France traverse régulièrement des étés caniculaires. Alors pourquoi le gouvernement français tire-t-il la sonnette d’alarme cet été 2022 et appelle, bien que discrètement, à la « sobriété énergétique » ?

Consommation d’électricité et canicule : une augmentation de la demande et une baisse de l’offre 

Lorsque l’on cherche un effet de la canicule sur la production et la distribution d’électricité en France, on pense à l’augmentation de la consommation d’électricité des particuliers pour rafraîchir les lieux de vie. A raison, puisque le fonctionnement des climatiseurs est la première raison de l’augmentation de la consommation d’électricité en période caniculaire. Mais cela ne serait qu’effleurer la surface du problème que de se limiter à cette explication.

Plus de froid, plus d’électricité

Tout d’abord, on peut trouver l’augmentation de la demande d’électricité en été paradoxale : l’économie fonctionne au ralenti, on éclaire moins et on ne chauffe plus. Des usages qui amènent normalement à une différence de consommation entre hiver et été estimée à 29 000 mégawattheures (46 000 mégawattheures consommés en été contre 75 000 en hiver).

Cependant, les fortes chaleurs de l’été amènent à devoir « créer plus de froid ». Et cela ne se limite pas au fait de ramener la température des open spaces à un niveau tolérable, mais englobe également le fonctionnement à pleine puissance des réfrigérateurs, congélateurs, ventilateurs et instruments industriels de refroidissement. Une consommation d’autant plus importante que la température extérieure est élevée.

M. Pierre Bornard, directeur de la division « systèmes électriques » à Réseau de transport d’électricité (RTE), a déclaré : « Pour chaque degré de température au-dessus de 25 degrés, la France consomme environ 250 à 300 mégawatts supplémentaires, ce qui représente grosso modo la consommation de la ville de Nantes ». 

Par conséquent, chaque canicule accroit la demande en électricité.

Source : senat.fr/rap/r03-195/r03-19511.html

Un parc énergétique en difficulté

La hausse significative de la demande d’électricité pendant les épisodes caniculaires s’est accompagnée d’une baisse de l’offre en France.

Les causes qui ont amené à une telle situation, sont multiples, mais ont pour point commun le fonctionnement dégradé des installations génératrices d’électricité.

Pour commencer le parc énergétique français, c’est-à-dire l’ensemble des installations qui produisent de l’électricité en France, se compose de trois types de centrales : thermique nucléaire, thermique fossile, et d’origine renouvelable.

Ces centrales produisent respectivement 86.8%, 1.1% et 12.1% de l’électricité consommé en France (données d’EDF France au 31/12/2021).

Mix énergétique français en 2021 ; Crédit image : EDF

Et si ce mix permet à la France d’être autonome énergétiquement et de produire une électricité décarbonée à 99%, il n’est pas complètement fiable en cas de grand froid ou de canicule prolongée.

Un parc nucléaire mis à mal

Le parc nucléaire français comporte 56 réacteurs nucléaires. Lesquels demandent un entretien régulier pour continuer à fournir de l’électricité en toute sûreté. 12 réacteurs sont ainsi arrêtés cette année suite à des problèmes de corrosion. EDF a aussi demandé l’arrêt de plusieurs autres réacteurs, notamment à la centrale de Tricastin (Drôme) à partir du 6 août.

Il y avait, au 22 juillet, 29 réacteurs nucléaires indisponibles à la production. La France comptait ainsi 27 réacteurs disponibles sur un parc de 56.

Le problème empêchant une centrale thermique (nucléaire et fossile) de tourner en rond vient de la rivière dans laquelle elle puise et rejette l’eau qu’elle utilise pour son refroidissement.

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Prenons l’exemple d’une centrale nucléaire. Elle puise l’eau dans la rivière, le fleuve ou la mer à proximité de laquelle elle a été construite. Elle l’injecte dans son circuit de refroidissement qui tourne autour de la turbine pour la refroidir. L’eau est ensuite retraitée et contrôlée en sortie pour filtrer les potentiels polluants et la rejeter dans la rivière où elle a été prélevée.

Ces rejets suivent des normes environnementales strictes. Elles listent, régulent et chiffrent les pollutions potentielles et les taux à ne pas dépasser. Parmi celles-ci, la température de l’eau. L’eau s’échauffe quelque peu lors du refroidissement. Dans des conditions estivales normales, la température de rejet ne doit pas dépasser 28 °C en aval de la centrale de Golfech (Tarn-et-Garonne), par exemple, et 30° dans des conditions climatiques exceptionnelles (comme la canicule). L’échauffement entre l’amont et l’aval, quant à lui, ne doit pas dépasser 1,25 °C du côté du Tarn-et-Garonne.

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La centrale nucléaire de Golfech, dans le Tarn-et-Garonne ; Crédit photo : Lartigue Stephane / SO

Ce sont ces limites de température qui empêchent aujourd’hui les centrales d’utiliser l’eau des fleuves et rivières en période de canicule.

Suite aux vagues de chaleur et canicules, la température de ces dernières est trop élevée pour pouvoir respecter les limites normatives. Ajoutons à cela la sécheresse qui a fait baisser le niveau des fleuves et rivières, et on obtient des centrales nucléaires obligées de tourner à parfois un cinquième de leur puissance (exemple de la centrale de Tricastin).

Des dérogations temporaires sont possibles si elles interviennent dans le cadre du bon fonctionnement du réseau électrique, justement pour les périodes de canicule. Un autre marqueur de la rigueur de la canicule de cet été est reflété par les quatre centrales qui, à ce jour, ont demandé une dérogation pour continuer à produire de l’électricité. Cette solution a une efficacité néanmoins limitée, puisqu’elle ne concerne que la limite de la température de rejet. La valeur du seuil d’échauffement, et par là le paramètre le plus révélateur d’une pollution par la température, restant inchangée.

Le renouvelable encore trop peu présent

Une réflexion qui peut germer pendant la canicule et suite à l’observation du « manque à gagner » d’électricité est : « Pourquoi ne pas laisser le pas aux énergies renouvelables ? »

Il est vrai qu’avec un ensoleillement comme celui qu’on observe sur les cartes météos, et si on a en tête les objectifs de transition écologique, le photovoltaïque, l’éolien ou encore l’hydraulique et le gaz naturel sont des alternatives aux centrales nucléaires à développer. Et si l’indisponibilité du parc nucléaire amenait à l’augmentation de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique 2022 ?

La réponse est assez simple : le renouvelable est encore trop peu présent dans le mix énergétique français (seulement 12% de l’électricité consommée fin 2021). Cela s’explique par plusieurs raisons :

  • sa production intermittente (le soleil n’est pas présent en continu) ;
  • le manque de consommation d’électricité lors des pics de production (tout le monde ne lance pas une machine à laver lorsque le vent souffle) ;
  • le manque d’infrastructures produisant une telle électricité en France (par rapport à nos voisins allemands, espagnols ou danois, nous sommes moins bien pourvus en éoliennes ou panneaux solaires).

Ajoutons à cela la situation tendue dans laquelle se trouve le secteur hydraulique : deuxième source d’énergie en France et première énergie renouvelable, les turbines des barrages souffrent plus encore de la sécheresse que les autres sources d’énergie françaises.

L’éolien pourrait également perdre en efficacité des suites d’un anticyclone dû, encore une fois, à la canicule frappant l’Europe.

Les énergies renouvelables, non contentes de ne représenter qu’un dixième de la consommation d’électricité française, souffrent aussi de la canicule. Une autre solution reste donc à trouver pour répondre au manque d’électricité qui nous guette.

Une solution européenne ?

Au bout du compte, la production d’électricité française, mais aussi européenne, pâtit de la canicule prolongée de cet été.

Cela a donné lieu à des échanges commerciaux inhabituels en Union européenne. Habituellement, à cette période de l’année et grâce à la production de ses centrales nucléaires, la France exporte de l’électricité à ses voisins. En effet, dans ce contexte de faible disponibilité de son parc nucléaire, la France compte actuellement sur la production électrique de ses voisins européens pour pallier d’éventuels écarts entre offre et demande d’électricité. Ces échanges, bien qu’inhabituels, restent une solution acceptable et facile à mettre en œuvre.

Un plus grand échange d’énergie verte sur la plaque de cuivre européenne serait alors la solution au manque d’électricité ? C’est en tout cas l’intention affichée par l’Union européenne avec son objectif historique de l’Union de l’énergie. Sans compter qu’un tel échange permettrait un meilleur usage de l’énergie renouvelable produite.

L’énergie ne pouvant pas être stockée, elle est immédiatement envoyée sur les réseaux de transport d’électricité. On peut imaginer que, lorsque le vent souffle en Europe du nord, l’électricité pourrait être acheminée jusqu’en Europe du sud où un pic de consommation apparaît. Cela reviendrait, pour revenir à notre problématique d’indisponibilité, à considérer la production d’électricité, pas uniquement d’un pays, mais bien de l’Union européenne. L’U.E. cherche d’ailleurs à faciliter les échanges d’électricité aux frontières pour mieux la répartir et profiter de la production d’énergie verte sur un territoire bien plus étendu qu’un pays européen.

Cette solution pourrait permettre aux pays de l’Union européenne d’atteindre plus facilement les objectifs de neutralité carbone que les pays membres se sont engagés à atteindre d’ici 2050. Un objectif que la France, pourtant troisième pays émettant le moins de carbone par kilowattheure d’énergie produite en Europe, peine encore à atteindre.

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